Valeur locative et principe d’égalité fiscale

Contribution du 30.11.2022

La valeur locative est une notion propre au droit fiscal suisse. Elle représente une estimation des revenus locatifs ou d‘affermage qui seraient perçus si le bien immobilier était loué ou affermé. Les personnes qui vivent dans leur propre maison sont imposées sur la valeur locative comme s’il s’agissait d’un revenu, mais il est possible d’en réduire le montant en déduisant les intérêts hypothécaires et les dépenses de maintien de la valeur.

Imposer des revenus que l‘on ne perçoit pas? Cela peut paraître grotesque à première vue, mais c‘est pourtant ce qui est censé garantir l‘équité. L‘administration fiscale suisse a recours à la valeur locative pour imposer les propriétaires qui habitent leur propre logement. Il n‘est cependant pas nécessaire pour cela qu‘ils y vivent en permanence. C‘est pourquoi la valeur locative s’applique également aux résidences secondaires et aux maisons de vacances.

«L‘idée qui sous-tend cette taxe est l‘égalité de traitement fiscal entre les personnes qui sont locataires et celles qui sont propriétaires de leur logement», déclare Rainer Jöhl, CEO de RE/MAX Switzerland. Les propriétaires de maisons ou d‘appartements peuvent prétendre à diverses déductions fiscales sur la valeur locative, telles que les intérêts hypothécaires et les dépenses préservant la valeur, par exemple les travaux d‘entretien, les réparations et les rénovations. «Il en résulte en fin de compte un revenu fiscal fictif pour les propriétaires de logements – du moins s‘ils ne peuvent pas faire valoir d’importantes déductions pour des travaux de rénovation visant à maintenir la valeur de leur bien», explique Rainer Jöhl. En outre, Jöhl considère qu‘un endettement élevé présente des avantages en raison de la déductibilité fiscale de tous les intérêts de l‘emprunt. Les propriétaires qui ont amorti la majeure partie de leurs dettes hypothécaires sont ainsi indirectement pénalisés.

La valeur locative comme valeur imaginaire

Si une personne propriétaire d‘un bien immobilier le louait à des tiers au lieu d‘y habiter elle-même, des revenus seraient effectivement générés et donc imposables. La valeur locative est ainsi déterminée d‘après le montant qui serait versée comme loyer. Il s‘agit d‘une valeur fictive basée sur un loyer potentiel, autrement dit, sur le revenu théorique que l‘on pourrait tirer de sa maison ou de son appartement. «Dans la plupart des cantons, la valeur locative imposable d’un bien immobilier occupé par son propriétaire est réduite et imposée à un niveau inférieur au loyer réel du bien sur le marché. C‘est une manière d’essayer de répondre au mandat constitutionnel de promotion de l‘accès à la propriété», explique Rainer Jöhl. La valeur locative est en outre source de désagréments dans les cas où le logement constitue un élément essentiel de la prévoyance vieillesse privée. Jöhl ajoute que dans ce cas, le coût du logement est certes avantageux, mais le montant des impôts vient ensuite le relativiser. Pour les bénéficiaires d‘une pension modeste en particulier, cela peut conduire à devoir vendre le bien immobilier.

L‘administration fiscale cantonale détermine la valeur locative

Le calcul de la valeur locative est fixé par l‘administration fiscale cantonale compétente. D‘expérience, Rainer Jöhl explique que «l‘estimation d’un bien immobilier est principalement basée sur des critères tels que la surface habitable, l‘ameublement, l‘emplacement, l‘année et le type de construction». Les autorités procèdent à une estimation du bien immobilier ou le comparent à des biens similaires en tenant compte du montant local des loyers. Il s‘agit cependant en pratique d‘un calcul complexe à réaliser. Comme un bien immobilier occupé par son propriétaire n‘est pas sur le marché, il ne possède pas par définition de prix de marché. Ce n‘est qu‘en le comparant avec des biens immobiliers similaires qu‘il est possible d‘en estimer le loyer.

Sera-t-elle abolie?

Depuis 2016, la suppression de la valeur locative fait l‘objet d‘intenses débats sur la scène politique dans le cadre d‘un projet baptisé «changement de système d‘imposition de la propriété du logement». La Commission du Conseil des États (CER-E) a élaboré un projet de loi qui vise à supprimer l‘imposition des biens résidentiels pour les résidences principales – en ce qui concerne les résidences secondaires, telles que les appartements de vacances, la valeur locative devrait encore être taxée. Le Conseil fédéral s‘est prononcé à ce sujet lors de sa séance du 25 août 2021 et a déposé trois amendements:

1. Changement complet de système: la valeur locative est également supprimée pour les résidences secondaires.
2. Déduction de la dette: les intérêts passifs doivent toujours pouvoir être déduits s‘ils servent à gé nérer un revenu imposable. La renonciation totale à la déduction des intérêts passifs n‘est pas conforme au système.
3. Économies d‘énergie et déductions environnementales: pour atteindre les objectifs climat 2050, les rénovations énergétiques doivent continuer à bénéficier d‘un traitement fiscal préférentiel.

Le projet de loi a été adopté par le Conseil des États le 17 septembre 2021 par 20 voix contre 17 et 2 abstentions, bien que la plupart des gouvernements cantonaux s‘opposent au changement de système. Le projet de loi va maintenant être examiné par le Conseil national. Le débat politque sur le changement de système n‘est pas encore terminé. On peut légitimement se demander dans quelle mesure le Conseil national, le Conseil des États et le Conseil fédéral parviendront à trouver un terrain d‘entente.

Gagnants et perdants du changement de système

Les propriétaires qui ont entièrement amorti leur emprunt hypothécaire et qui n‘effectuent pas de gros travaux d‘entretien profiteront d‘un changement de système. Il s‘agit en premier lieu des retraités qui sont propriétaires de leur logement.

Les perdants sont une fois de plus les primo-accédants qui doivent s‘endetter lourdement. Les acquéreurs de biens anciens sont également désavantagés, car les travaux de rénovation ne sont plus déductibles des impôts. Les travaux de rénovation permettent aujourd‘hui de réduire les impôts sur le revenu et de lisser quelque peu la progressivité fiscale, surtout en fin de carrière professionnelle. Un changement de système entraînerait également la fin de ces possibilités.

Il convient donc de déterminer les objectifs à atteindre et les mesures à prendre. Le régime actuel de la valeur locative offre de grandes certitudes juridiques et la question se pose donc de savoir quel degré d‘incertitude juridique nous sommes prêts à accepter dans les années à venir.

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